Traduction de l’article du New Yorker : The Danger of President Pence, Jane Mayer, 16 octobre 2017
Les critiques de Trump voudraient le voir partir, mais Mike Pence, infiltré du patronat états-unien, présente un autre risque.
Le 14 septembre, la commentatrice conservatrice Ann Coulter, qui a publié l’année dernière un livre intitulé «In Trump We Trust», a exprimé ce qu’un nombre croissant d’américains, y compris conservateurs, ressentent depuis les élections de 2016. La veille, le président Trump avait dîné avec des dirigeants démocrates à la Maison Blanche et avait brusquement accepté un changement politique majeur, accordant la résidence provisoire aux immigrants sans papiers arrivés enfants aux États-Unis. Les législateurs républicains furent pris de court. En quelques heures, Trump désavoua l’accord, puis le confirma. Coulter tweeta: «À ce stade, qui ne veut pas que Trump soit destitué ?» et ajouta: «Si nous n’obtenons pas de mur, je préférerais le président Pence».
Les embardées de Trump ont réussi l’impensable – unir Coulter et les commentateurs libéraux. Après que Trump eut menacé de «détruire totalement» la Corée du Nord, Gail Collins, la chroniqueuse du Times, félicita le vice-président Mike Pence comme quelqu’un qui au moins «semble moins susceptible de faire exploser la planète». Cet été, une chronique d’opinion de Dana Milbank, du Washington Post , fut publiée sous le titre «Le président pence sonne de mieux en mieux. »
Pence, qui s’est fidèlement tenu aux côtés du président avec le regard dévoué d’une Nancy Reagan, est un rappel quotidien que la Constitution offre une alternative à Trump. Plus le président a l’air mauvais, plus sa doublure semble souhaitable. Trump embourbé dans le scandale, on se prend à envisager l’accession de Pence au bureau ovale, à moins qu’il ne se trouve lui-même empêché juridiquement.
Les chances de Pence de devenir président sont faibles mais pas nulles. De ses quarante-sept prédécesseurs, neuf ont finalement pris la présidence, en raison d’un décès ou d’une démission. Lyndon Johnson, vice président sous John F. Kennedy, avait calculé ses chances d’accession à environ une sur quatre, et aurait dit à Clare Boothe Luce: «Je suis joueur, et c’est la seule occasion que j’aurai. »
Si le poste est une gageure pour Pence, lui-même est une gageure pour le pays. Durant la tumultueuse campagne présidentielle de 2016, peu d’attention a été accordée à la façon dont Pence a été choisi ou à son bilan politique. Et, avec tous les luttes intestines dans la nouvelle administration, peu se sont concentrés sur le pouvoir de Pence au sein de la Maison Blanche. Newt Gingrich m’a dit récemment que les trois personnes ayant le plus d’influence politique dans l’administration étaient Trump, le chef de cabinet John Kelly et Pence. D’après Gingrich, «d’autres ont une certaine influence, comme Jared Kushner et Gary Cohn. Mais regardez les emplois du temps. Pence déjeune avec le président. Il participe aux briefings de sécurité nationale. » De plus, et c’est crucial, Pence est le seul fonctionnaire de la Maison Blanche qui ne peut pas être licencié.
Pence, qui a refusé les demandes d’interview, est également l’un des rares avec lesquels Trump ne s’est pas publiquement querellé. «Le président le considère comme l’une de ses meilleures décisions», selon Tony Fabrizio, analyste politique qui travaille pour Trump. Cela dit, ils sont extraordinairement mal assortis. «On se retrouve avec un couple étrange sorti d’un casting des années 50», a plaisanté l’ancien stratège de la Maison Blanche Stephen Bannon, en les comparant à Dean Martin, le mauvais garçon du Rat Pack, et au «père de Leave It to Beaver. »
Trump et Pence sont décalés politiquement. Trump a fait campagne en tant qu’outsider dissident, alors que Pence est un idéologue doctrinaire. Kellyanne Conway, conseillère en communication à la Maison Blanche, analyste politique pour Pence en 2009, le décrit comme «100% conservateur» sur les questions sociales, morales, économiques et de défense. Pence penche tellement à droite qu’il a parfois repris les arguments de l’American Civil Liberties Union contre le pouvoir excessif du gouvernement ; il a par exemple soutenu une loi fédérale autorisant les journalistes à ne pas dénoncer leurs lanceurs d’alerte. Selon Bannon, Pence est le «go-between, le tissu conjonctif» entre l’administration Trump et l’aile la plus conservatrice de l’establishment républicain. «Trump a les nationalistes populistes, mais Pence est la base. Sans Pence, vous ne gagnez pas. »
Pence a pris soin de paraître extrêmement fidèle à Trump, à tel point que Joel K. Goldstein, historien et expert en vice-présidents, qui enseigne le droit à l’Université de Saint-Louis, le qualifie de «lèche-cul en chef». Mais Pence a l’expérience politique, les relations, la discipline et l’amarrage idéologique qui manquent à Trump. Il a également une relation étroite avec les donateurs milliardaires conservateurs qui ont pris le contrôle du programme du Parti républicain ces dernières années.
Au cours de la campagne de 2016, Trump a qualifié les gros donateurs du Parti républicain de «tueurs raffinés» dont les dons ont permis de contrôler les politiciens. Lorsqu’il a présenté sa candidature, il a affirmé qu’en raison de sa fortune immobilière il n’avait pas besoin du soutien de «riches donateurs» et il a traité de «corrompus» les super PACs qui leur servent à contribuer de façon illimitée à la campagne. Au contraire, la carrière politique de Pence a été jalonnée de parrainages de ces donateurs que Trump a agressés. Pence est l’homme infiltré de la machine à sous conservatrice.
Le soir des élections, la hiatus entre les partisans populistes de Trump et les sponsors milliardaires de Pence était discrètement évidente. Lorsque Trump a prononcé son discours investiture, dans la salle de bal de l’hôtel Hilton au centre de Manhattan, il a promis de servir «les hommes et les femmes oubliés de notre pays» et de «reconstruire nos autoroutes, ponts, tunnels, aéroports, écoles et les hôpitaux. » À l’étage, dans une salle réservée, les élites du Parti faisaient la fête, dont plusieurs des donateurs les plus riches et les plus conservateurs, tous soutiens de la réduction drastique des dépenses publiques. Doug Deason, homme d’affaires du Texas et donateur politique, m’a raconté: «C’était incroyable. Dans la zone d’accueil VIP, il y avait une salle encore plus VIP où j’ai compté au moins huit ou neuf milliardaires. »
Darwin, le père de Deason, a fondé une société de traitement de données, Affiliated Computer Services, qu’il a vendue en 2010 à Xerox pour 6,4 milliards de dollars. ACS était connue pour recourir au marché du travail international à bas prix pour externaliser les emplois de bureau. Trump a fait campagne contre l’externalisation, mais les Deasons l’ont néanmoins soutenu, lui faisant don d’un million de dollars. Doug Deason a été enrôlé, en partie, par Pence, qu’il connaissait et soutenait depuis des années. «Mike et moi sommes de très bons amis», a déclaré Deason, «il est vraiment le point de contact avec les gros donateurs. » Depuis l’élection, Deason a assisté à deux dîners organisés pour eux à la résidence de la vice-présidence.
Deason se souvient que parmi les milliardaires rassemblés dans la salle de l’hôtel Hilton, il y avait le financier Wilbur Ross, que Trump a nommé plus tard secrétaire au Commerce ; l’investisseur privé Carl Icahn, qui est devenu conseiller de Trump mais a dû démissionner huit mois plus tard, suite à des allégations d’irrégularités financières publiées par The New Yorker ; Harold Hamm, fondateur et président de Continental Resources, une société pétrolière et gazière basée en Oklahoma qui a gagné des milliards de dollars grâce à la fracturation hydraulique; et David Koch, le résident le plus riche de New York.
La présence de Koch était particulièrement inattendue. Lui et son frère Charles sont des libertaires qui s’opposent à la plupart des dépenses publiques, y compris les investissements dans les infrastructures. Ils possèdent la quasi-totalité de Koch Industries, la deuxième plus grande entreprise privée des États-Unis, et ont longtemps utilisé leur fortune combinée – actuellement quatre-vingt-dix milliards de dollars – pour financer des candidats, des groupes de réflexion, des groupes de pression et des agents politiques soutenant un programme anti-fiscal et anti-régulation concordant avec leurs intérêts financiers.
Pendant la campagne, Trump a traité de «marionnettes» ses rivaux républicains qui participaient aux réunions secrètes de donateurs parrainées par les Koch. Les Koch, avec le support de plusieurs centaines de donateurs alliés, avaient amassé près de neuf cent millions de dollars pour l’élection présidentielle, mais ont refusé de soutenir la candidature de Trump. Charles Koch est même allé jusqu’à décrire le choix entre Trump et Hillary Clinton comme un choix entre «cancer et crise cardiaque».
Marc Short, chef des affaires législatives à la Maison Blanche, attribue à Pence le rapprochement des Koch avec Trump. «Les Koch étaient enthousiastes à l’idée du choix de la vice-présidence». «Dans certains domaines ils diffèrent de l’administration, mais dans de nombreux autres ils s’associent avec nous. » Le sénateur Sheldon Whitehouse, démocrate du Rhode Island, est moins enthousiaste à propos de leur alliance avec Pence. Il a accusé les Koch de trafic d’influence, en particulier dans le domaine de la politique environnementale – Koch Industries a de lourds antécédents de pollueur. «Si Pence devenait président pour une raison quelconque, le gouvernement serait dirigé par les frères Koch – point final. Il est leur instrument depuis des années», a-t-il déclaré. Bannon s’inquiète également de la perspective d’une présidence de Pence. Il craint «qu’il serait un Président aux ordre des Koch. »
Cet été, j’ai visité la ville natale de Pence, Columbus, Indiana. Harry McCawley, rédacteur en chef à la retraite du journal local The Republic, m’a dit: «Mike Pence veut être président pratiquement depuis sa naissance. » Il dégage une humilité discrète, mais «il est très ambitieux, même calculateur sur les mesures à prendre pour atteindre cet objectif. »
McCawley, décédé d’un cancer en septembre, connaissait bien la famille Pence, notamment parce que la mère du vice-président, Nancy Pence Fritsch, a écrit pendant plusieurs années une rubrique bavarde pour The Republic («les souvenirs fleurissent avec l’arrivée du printemps»). Je l’ai rencontrée cet été pour un café. Agée de quatre-vingt-quatre ans et énergique, elle était accompagnée de son fils aîné Gregory, qui travaille dans le commerce d’antiquités dans la région de Columbus. Les deux étaient beaux, avec des traits ciselés comme le vice-président, et une manière aimable et sans prétention. Ils ont plaisanté, se remémorant les années durant lesquelles les Pence ont vécu avec leurs six enfants dans une série de maisons modestes. Il y avait si peu de distractions, s’est souvenu Gregory Pence, que «nous montions parfois dans la voiture avec nos parents le vendredi soir pour suivre le camion de pompiers. » Chaque garçon avaient un surnom. Celui de Gregory «était Général Tracas. Michael était Bulles, parce qu’il était joufflu et drôle. »
«Michael est drôle», reconnaît sa mère. «J’attribue cela au côté irlandais. Nous sommes confiants et avons un bon sens de l’humour. » La famille s’identifie comme catholique et Mike était enfant de chœur. «La religion est la chose la plus importante dans nos vies», déclare-t-elle. «Mais nous ne prenons pas cela au sérieux. Je ne fais pas de prosélytisme. »
Le grand-père maternel de Pence était originaire d’Irlande, mais son grand-père paternel, Edward Joseph Pence Senior, venait d’une famille allemande. De brèves mentions dans la presse le décrivent comme ayant travaillé dans les parcs à bestiaux de Chicago, laissant l’impression qu’il était pauvre. Mais Gregory m’a dit qu’il était bien nanti, possédant même un siège à la Bourse de Chicago. «Grand-père Pence était un homme très dur», déclare Gregory. Il a refusé de fournir un soutien financier lorsque le père de Gregory et Mike, Edward Junior, est allé à l’université; une tante lui a avancé les frais de scolarité mais il a dû quitter la faculté de droit quand il a manqué d’argent. «Grampa Pence était un joueur !» intervient Fritsch : «il a joué aux cartes et est allé à Las Vegas. »
Fritsch a fait des études de secrétariat. En riant, elle se souvient avoir rencontré son premier mari «dans un club – en d’autres termes, une taverne». Vétéran de la guerre de Corée, Edward Pence Junior, était en uniforme ce soir-là. (Il était décoré d’une Bronze Star, que le vice-président conserve dans son bureau.) En 1959, après avoir quitté l’école de droit, il a déménagé avec Fritsch de Chicago à Columbus, où il a vendu du carburant à des stations-service, des fermes et des dépanneurs. Peu de temps après leur arrivée, Michael Pence, le troisième enfant du couple, est né.
Fritsch dit de la vie en Indiana: «Je détestais. J’avais toujours hâte de retourner à Chicago. » Mais la famille est restée, s’est progressivement embourgeoisée – Edward est devenu associé dans une entreprise de distribution de pétrole – et est passée du Parti démocrate au Parti républicain. Fritsch avait adoré les Kennedy, mais elle dit: «Je suppose que je suis devenue républicaine parce que mon mari l’était. J’étais une épouse soumise. »
«Elle était comme l’épouvantail dans Le magicien d’Oz», déclare Gregory.
«Vous voyez ce que je dois supporter ?» riposte-t-elle. De plus en plus sérieuse, elle explique que, jusqu’à ce qu’elle retourne à l’école, à soixante-cinq ans, pour obtenir un diplôme universitaire en psychologie, elle «n’avait pas beaucoup d’estime de soi».
«C’est là qu’elle a gagné son cerveau», déclare Gregory.
Edward Junior, comme son père, était un sévère en matière de discipline. Gregory se souvient: «Si vous lui mentiez, il vous emmenait à l’étage, vous faisait la leçon, puis vous frappait avec une ceinture. » Il exigeait que les enfants se lèvent chaque fois qu’un adulte entrait dans la pièce. «Il vous attrapait si vous ne le faisiez pas», déclare Gregory. Au dîner, il était interdit aux enfants de parler.
Durant ses études universitaires, Gregory s’est retrouvé à faire la grasse matinée lors d’une visite à la maison parentale. Son père vint lui arracher les couvertures et lui ordonner de se lever pour aller à l’église. «Je lui ai dit qu’il n’avait plus à me commander, car il ne payait que la moitié de mes frais de scolarité», dit Gregory. Son père a complètement cessé de payer ses frais de scolarité. «Il était noir et blanc», raconte Gregory. «C’était toujours très clair où vous vous situiez. Mon frère lui ressemble beaucoup. »
Columbus, qui compte quarante-cinq mille habitants, était dominée par un grand fabricant de moteurs, Cummins, et a échappé aux difficultés économiques qui affligeaient de nombreuses autres parties de la région. McCawley, le rédacteur en chef à The Republic, raconte que pendant l’enfance et l’adolescence de Pence, Columbus, «comme de nombreuses communautés de l’Indiana, avait encore des vestiges du Ku Klux Klan». Le Ku Klux Klan avait dirigé le gouvernement de l’État dans les années vingt, puis était devenu clandestin. À Columbus, les propriétaires refusaient de louer et de vendre des maisons à des Afro-Américains jusqu’au jour où les propriétaires de Cummins l’ont exigé. Gregory Pence insiste sur le fait que la ville «n’était pas raciste», mais soutient qu’il y avait des préjugés anti-catholiques. Des enfants protestants lui ont lancé des pierres, se souvient-il. «Nous avons été victimes de discrimination», ajoute la mère de Pence.
Les enfants Pence ont fréquenté l’école catholique St. Columba jusqu’à la quatrième. Mike s’est découvert un talent pour parler en public qui a fait de lui le chouchou des religieuses. En CM2, il a remporté un concours d’éloquence, contre des enfants plus âgés de plusieurs années. «Quand sont tour est venu, sa voix a résonné sur le public», a déclaré sa mère au journal local, «tout le monde était stupéfait. » Au lycée, Pence a remporté la troisième place dans un concours national. Lorsque sa mère se remémore Mike comme «un bon élève», Gregory déclare: «Pas fabuleux. Je ne pense pas qu’il sortait du lot. Il était président de classe, mais c’était plutôt mal vu. » Et arrivé en dernière année, Mike commençait à parler à ses camarades de devenir président des États-Unis.
Mike Pence a fréquenté le Hanover College, une école de lettres du sud-est de l’Indiana. Lors d’une visite à la maison, il a dit à son père qu’il envisageait de rejoindre la prêtrise ou la faculté de droit. Son père lui a suggéré de commencer par le droit; il pourrait toujours rejoindre le sacerdoce plus tard. Peu après, à la surprise de sa famille, Pence est devenu un chrétien évangélique. Sa mère a dit que «l’université lui avait donné un regard neuf». Pence raconte est qu’il était dans une fraternité, et alors qu’il admirait la croix d’or d’un autre membre, quelqu’un lui aurait dit: «Tu dois la porter dans ton cœur avant de la porter autour de ton cou. » Peu de temps après, «j’ai assisté à un festival de musique chrétienne dans le Kentucky et j’ai donné ma vie à Jésus».
Sa conversion fait partie d’un mouvement plus large. En 1979, pendant la première année de Pence au collège, Jerry Falwell co-fonda la Moral Majority, pour mobiliser les électeurs chrétiens en tant que force politique. Pence vota pour Jimmy Carter en 1980, mais rejoignit rapidement la marche de nombreux chrétiens vers le Parti républicain. Paul Weyrich, autre co-fondateur de la Moral Majority et catholique du Midwest, créa de nombreuses institutions du mouvement conservateur, y compris la Heritage Foundation et le Republican Study Committee, un groupe de membres du Congrès d’extrême droite, que Pence a fini par diriger. Weyrich a condamné l’homosexualité, le féminisme, l’avortement et l’intégration raciale imposée par le gouvernement, et il s’est associé à des personnalités controversées, dont Laszlo Pasztor, ancien membre d’un parti pro-nazi en Hongrie. À la mort de Weyrich, en 2008, Pence lui rendit hommage comme «ami et mentor» et un des «pères fondateurs du mouvement conservateur moderne», dont l’apport était incommensurable.
Pendant ses études de droit à l’Université de l’Indiana, Pence a rencontré et épousé Karen Batten, une institutrice qu’il avait remarquée jouant de la guitare dans un service religieux. Un ami de l’époque, Dan LeClerc, m’a dit: «Il était tout retourné. » Il l’a emmenée patiner; elle lui a préparé une salade de tacos pour le dîner. Bientôt, anticipant une proposition, elle a commencé à prendre dans son sac à main une croix en or avec l’inscription «Oui». Huit mois après, il lui a demandé de l’épouser après avoir caché l’écrin de la bague dans une miche de pain apportée en promenade, prétendument pour nourrir les canards. Les amis de Pence ont surnommé Karen son «guerrier de prière».
Le couple est devenu presque inséparable. Un Noël, elle lui a donné un téléphone rouge antique, connecté à une «hotline» dont elle seule connaissait le numéro. Comme l’a rapporté le Washington Post, il l’a gardé sur son bureau longtemps après l’avènement des téléphones portables. À la maison, ils faisaient leur sport sur des tapis roulants jumeaux. Et selon Rolling Stone, il la qualifiait devant ses invités de «mère». Le cabinet de Pence a contesté le récit, mais un ancien responsable du Parti démocrate de l’Indiana m’a dit: « Je l’ai personnellement entendu l’appeler mère. » Pence a également commencé à observer ce que l’on appelle la règle Billy Graham, c’est à dire qu’il ne dînait jamais seul avec une autre femme, et ne participait jamais à un événement mixte où de l’alcool était servi à moins que sa femme ne soit présente. Les critiques font valoir que cette attitude réduit les femmes à des tentatrices sexuelles et empêche les hommes de travailler avec les femmes sur un pied d’égalité. Un responsable de la campagne Trump a déclaré avoir trouvé la dynamique des Pence «un peu effrayante». Mais Kellyanne Conway l’a vigoureusement défendu, me disant: «Je suis l’une de ses meilleures conseillères depuis des années, et je ne me suis jamais sentie exclue ou renvoyée. » Elle a poursuivi: «La plupart des femmes apprécieraient un mari fidèle qui les met en premier. »
En 1987, un an après que Pence eu obtenu son diplôme en droit, une connaissance commune interrogea son vieil ami LeClerc : «Devine qui se présente au Congrès?» Langue au chat. La décision de Pence, à l’âge de vingt-neuf ans, de défier un membre du Congrès démocrate en place surprit beaucoup de monde, y compris son père Edward, qui trouvait que c’était idiot de la part d’un jeune marié sans emploi stable. Mais après que Mike fut entré dans la course, Edward devint son plus grand soutien, l’aidant à collecter des fonds et à coller des affiches. Puis, quelques semaines seulement avant la primaire républicaine, Edward, qui avait cinquante-huit ans, fit une crise cardiaque et mourut. Mike remporta la primaire, mais le titulaire démocrate, Phil Sharp, fut réélu.
En 1990, Pence a à nouveau tenté de renverser Sharp et encore échoué, menant une campagne dont on se souvient comme particulièrement méchante. Une annonce mettait en scène un acteur portant lunettes de soleil et vêtements orientaux, et accusait faussement Sharp d’être l’instrument des intérêts pétroliers arabes. La campagne de Pence échoua après que la presse eut révélé qu’il avait utilisé des dons pour des dépenses personnelles : son emprunt immobilier diverses courses. Techniquement c’était légal, mais avait trahi la confiance de ses partisans et terni son image pieuse. «Mike coupa beaucoup de ponts», se souvient Gregory. «Il contraria beaucoup de ses partisans. C’était en partie une erreur de jeunesse, mais s’était vraiment comporté comme un imbécile. »
L’année suivante, Mike Pence écrivit un essai, publié par les journaux locaux, intitulé «Confessions d’un militant négatif», dans lequel il déclarait: «Une campagne devrait démontrer la décence et les qualités humaines du candidat. » Il avouait qu’il ne s’était pas montré à la hauteur et déclarait qu’il n’avait «aucune intention de se présenter aux élections dans un avenir prévisible», mais ajoutait que s’il jamais il devait le faire, il ne mènerait pas de campagne négative. «Je pense qu’il s’est rendu compte qu’il s’était souillé», m’a dit Sharp. «Il voulait apparaître comme le bon gars du Midwest, mais s’était comporté méchamment et superficiellement. » Sharp, qui après deux mandats supplémentaires rejoignit la John F. Kennedy School of Government de Harvard, est maintenant semi-retraité, et n’est toujours pas impressionné par Pence. «Je l’ai peu fréquenté, mais ce n’est vraiment pas la personne dont je dirais, Wow, il devrait être président !»
Pence prit un emploi dans un cabinet d’avocats à Indianapolis, où il s’occupait principalement des petites créances et des affaires familiales, et commençait chaque journée par une prière avec les collègues. Un avocat de l’Indiana se souvient: «C’était un grand type enjoué et amical qui vous passait le bras dans le dos au pub local. Il pesait probablement quarante kilos de plus qu’aujourd’hui. » Il y avait une hiérarchie claire au sein de la communauté des juristes d’Indianapolis et Pence était loin des échelons supérieurs, il avait besoin de références pour trouver du travail. «Il y avait des dizaines de gars comme ça», nous dit l’avocat, «mais la grande histoire américaine est qu’un gars comme Mike Pence est maintenant vice-président. »
Gregory dit de lui: «Le droit n’était pas vraiment son truc», ajoutant: «Il n’est absolument pas motivé par l’argent. Je ne pense pas qu’il y penserait une seconde, sans Karen. »
« Le service est sa motivation », déclare sa mère.
« Et, bien sûr, la popularité », ajoute son frère. « Il avait des ambitions. »
Ce fut une véritable bouée de sauvetage lorsqu’en 1991, on offrit à Pence le poste de président de l’Indiana Policy Review Foundation, modeste nouveau groupe de réflexion qui faisait la promotion des politiques de libre marché. Pence plaisantait sur le fait que certains considéraient la fondation comme «une maison de retraite pour les candidats non retenus», mais cela lui a donné un salaire régulier et lui a permis de se rapprocher de l’univers en plein essor des associations à but non lucratif financées par le patronat conservateur. La fondation faisait partie du State Policy Network, un réseau national d’organisations qui avait été créé sur la suggestion de Ronald Reagan. Il était conçu pour reproduire au niveau local le succès de la Heritage Foundation à promouvoir les politiques conservatrices. Thomas Roe, un des fondateurs du State Policy Network et très anti-syndicaliste magnat de la construction , aurait déclaré à un membre du conseil d’administration de Heritage : «vous vous occupez de l’Union Soviétique – et moi je vais m’occuper de nos états. »
Dans un discours de 2008, Pence s’est lui-même décrit comme «une part du « maïs-semence » que la Heritage Foundation semait à travers le pays via le mouvement des think tanks de l’État». On ne sait pas exactement qui était derrière la Fondation Indiana Policy Review, car les groupes de réflexion, en tant qu’associations à but non lucratif, ne divulguent pas leurs donateurs. Mais les premiers bailleurs de fonds de la Heritage Foundation comprenaient des sociétés du Fortune 500, dans des domaines tels que le pétrole, les produits chimiques, le tabac, qui s’opposaient aux réglementations en matière de santé, de sécurité et d’environnement.
Cecil Bohanon, l’un des deux universitaires adjoints au groupe de réflexion de Pence, avait un historique de liens financiers avec les groupes paravent des compagnies de tabac et en 2000, Pence fit écho à leur discours général dans un essai qui affirmait: «Fumer ne tue pas. En réalité, deux fumeurs sur trois ne meurent pas d’une maladie liée au tabagisme. » Plus pernicieux que la cigarettes, d’après Pence était que «le gouvernement bureaucratique se masquait derrière une rhétorique bien-pensante sur les soins de santé». Bohanon, qui continue à rédiger des articles pour le groupe de réflexion, a également des liens avec les Koch. L’année dernière, John Hardin, directeur des relations universitaires de la Fondation Charles Koch, a déclaré à un journal de l’Indiana que les Kochs financent «depuis des années» le travail de Bohanon en tant que professeur d’économie de libre marché à la Ball State University.
Tout en plaidant pour une moindre ingérence du gouvernement dans les affaires, Pence faisait la promotion de politiques empiétant sur la vie privée des gens. Au début des années 90, il a rejoint le conseil d’administration de l’Indiana Family Institute, un groupe d’extrême droite soutenant la criminalisation de l’avortement et faisant campagne contre l’égalité des droits des homosexuels. Alors que Pence en assurait la direction, la Indiana Policy Review Foundation a publié un essai faisant valoir que les femmes non mariées devraient se voir refuser l’accès à la contraception. «Ce après quoi ces gens en ont véritablement, ce sont les contraceptifs», m’a dit Vi Simpson, l’ancienne chef de la minorité démocrate du Sénat de l’État de l’Indiana. En 2012, après avoir servi vingt-huit ans au Sénat, elle s’est présentée comme vice-gouverneur avec le candidat John R. Gregg, qui a perdit l’élection face à Pence. Simpson est convaincue que Pence veut casser les avancées économiques et politiques dont bénéficient les femmes. «Il est en mission», a-t-elle déclaré.
Le vrai don de Pence n’était pas en tant que penseur mais en tant que causeur. En 1992 il est devenu animateur sur une radio conservatrice qui était en plein essor depuis que la FCC, en 1987, avait abrogé la doctrine de l’équité et cessé d’exiger des diffuseurs qu’ils représentent les différents aspects des questions controversées. À une époque où les voix grandiloquentes et hargneuses proliféraient, Pence était différent. Comme Reagan, qui était devenu son héros politique, il pouvait présenter les positions les plus extrêmes en des termes non menaçants. «Je suis un conservateur, mais je n’en suis pas fou», aimait-il à dire. Il accueillait des invités de toutes allégeances politiques et se faisait appeler «Rush Limbaugh version décaf’».
«Sa carrière à la radio lui a permis de se faire connaître au niveau de l’État», déclare Jeff Smulyan, PDG d’Emmis Communications, qui diffusait l’émission de Pence. «Il est sympathique et fait très bien son auto-promotion. » Smulyan, lui-même démocrate, ajoute: «Je ne sais pas comment il s’en tirerait dans un débat politique pointu, mais Mike sait expliquer ce en quoi il croit. » En 1994, Pence était sur dix-huit stations Emmis, cinq jours par semaine. Il avait perdu du poids et avait trois enfants; il avait également amassé un Rolodex plein de relations dans les milieus conservateurs et créé un réseau national de riches bailleurs de fonds. En 2000, lorsqu’un membre du Congrès républicain du nord de l’Indiana quitta son siège, Pence se présenta avec l’investiture du Parti, avec un programme qui promettait de s’opposer à «tout effort visant à reconnaître les homosexuels comme une minorité distincte et clairement identifiable ayant droit à la protection des lois anti-discrimination. » Il emporta le scrutin avec une marge de 12 points.
D’après Conway, une fois Pence arrivé à Washington, ses antécédents «avec les think tanks/media l’ont vraiment aidé pour défendre et expliquer un argument de manière vigoureuse». Pence était en demande sur le circuit conservateur et apparaissait fréquemment dans les talk-shows du dimanche. «Il a été invité à Heritage, par des groupes de propriétaires d’armes à feu, par des groupes de défense du droit de propriété, par des groupes pro-vie et par des groupes pro-Israël». «Les gens ont commencé à le voir comme un conservateur authentique et affable et qui pour autant conservait sa mauvaise humeur. » Mais pour Michael Leppert, lobbyiste démocrate de l’Indiana, «son discours était toujours très loin du courant général, seulement il le faisait avec un sourire au lieu d’un grognement. »
Pence a servi douze ans au Congrès, mais pas un seul des projets de loi qu’il a rédigé n’a été adopté. Selon Leppert, il a toujours lorgné «sur le ticket national». Il a attiré l’attention en défiant les dirigeants de son propre parti, à la fois au Congrès et dans l’administration George W. Bush, à droite. Il s’est opposé à l’expansion de la couverture Medicaid pour les médicaments sur ordonnance que poussait Bush, ainsi qu’à l’initiative Pas d’Enfant Laissé pour Compte (No Child Left Behind) et au programme d’Aide aux Détenteurs d’Actifs Douteux (TARP), le plan de sauvetage d’urgence des banques par le gouvernement. D’après Conway, c’est «un rebelle avec une cause». En 2004, les membres les plus conservateurs de la Chambre l’ont élu à la tête de leur caucus, le Comité d’Étude Républicain. Pence disait que le groupe était tellement loin du courant dominant du Parti que le diriger était comme diriger une convention «Star Trek». D’après Mike Lofgren, ancien membre du personnel républicain du Congrès devenu critique de Trump, «il n’aurait pas été possible d’être plus à droite sans risquer de tomber de la terre, mais il ne s’est jamais vraiment planté politiquement ; derrière le tambourinement biblique, il y avait un politicien ambitieux et calculateur. »
En 2006, Pence présenta sa candidature contre le leader de la minorité parlementaire de l’époque, John Boehner, un républicain plus centriste de l’Ohio, pour son poste. Il fut défait, mais en 2008 Boehner – essayant peut-être de contenir l’ambition de Pence – lui demanda de prendre la présidence de la Conférence Républicaine, troisième poste le plus important du Parti à la Chambre. Cela impliquait de présider les réunions hebdomadaires au cours desquelles les membres de la Maison Républicaine discutent des objectifs politiques et législatifs. Pence a utilisé cette plateforme pour droitiser le message du Parti, lever des fonds et rehausser son profil.
Après l’élection de Barack Obama, Pence devint l’une des premières voix du Tea Party, qui s’opposait rageusement aux impôts et aux dépenses du gouvernement. Son ton devint plus militant. En 2011, il fit l’actualité du soir en menaçant de l’arrêt des activités Gouvernement Fédéral à moins que ne soit supprimé le financement du Planning Familial. Certains furent agacés de voir Pence debout au milieu d’un rassemblement Tea Party et criant: «Shut it down!» Son radicalisme, cependant, n’a fait que renforcer son profil national. Pence est devenu l’incarnation de l’opposition farouche à l’avortement. Il défendit une proposition de loi sur la «personne» qui l’aurait interdit en toutes circonstances, y compris le viol et l’inceste, à moins que la vie d’une femme ne soit en jeu. Il parraina un amendement (non adopté) à la Loi Affordable Care Act (pour des soins abordables) qui aurait rendu légal pour les hôpitaux financés par le gouvernement de refouler une femme mourante ayant besoin d’un avortement. Plus récemment, en tant que gouverneur de l’Indiana, il signa un projet de loi interdisant aux femmes d’avorter un fœtus physiquement anormal; le projet de loi exigeait également l’enterrement du fœtus ou la crémation, y compris après une fausse couche. Un juge fédéral a récemment jugé cette loi inconstitutionnelle.
Les relations étroites de Pence avec des dizaines de groupes conservateurs, dont Americans for Prosperity, principale organisation politique des Koch, ont été cruciales pour son ascension. Marc Short, actuel fonctionnaire à la Maison Blanche qui devint en 2008 chef de cabinet de Pence à la Conférence Républicaine, a joué un rôle clé dans l’établissement de ces relations. Short avait grandi dans des cercles conservateurs fortunés de Virginie, où son père avait aidé à financer le Parti républicain ; il avait dirigé un groupe d’étudiants conservateurs, Young America’s Foundation, et avait passé plusieurs années comme assistant au Sénat Républicain avant de rejoindre Pence. Sa femme, d’ailleurs, travaillait pour la Fondation Charles Koch et lui, admirait leur idéologie anti-gouvernement. Un ancien collègue de Short à la Maison Blanche le décrit comme «un imposteur» dont la réelle mission «était de livrer Pence aux Koch».
En juin 2009, Short négocia la première intervention de Pence lors d’un des «séminaires» Koch, comme les frères appelaient leurs séances semestrielles secrètes de collecte de fonds auprès des principaux donateurs conservateurs. Le thème du rassemblement, à Aspen, Colorado, était «Comprendre et combattre les menaces pesant sur la libre entreprise et la prospérité américaines». Le discours de Pence fut un succès. D’après Short, «il n’avait jamais vu quelqu’un qui sache aussi bien que Mike prendre un sujet complexe et le distiller en un clin d’œil», ni «un fonctionnaire aussi dévoué et un chrétien si fidèle à sa foi». Pour Short, lui-même très pratiquant, «les gens professent souvent une foi qu’ils ne pratiquent pas. Pas Pence. Sa foi le guide au quotidien. Elle est au centre de sa vie. «
Toutefois, les Koch étaient probablement plus intéressés par les questions d’argent que par la foi de Pence. Selon Scott Peterson, directeur général du Checks & Balances Project, un observatoire qui surveille les tentatives d’influence sur la politique environnementale, Pence fut invité au séminaire de Koch après avoir rendu aux frères un grand service politique. Au printemps 2009, Koch Industries, comme d’autres industries fossiles, se sentait menacée par le soutien croissant du Congrès à la réduction des émissions carbonées, principale cause du changement climatique. Americans for Prosperity ont rédigé à l’intention des membres du congrès un «engagement zéro taxe climatique», prônant l’interdiction de l’usage de fonds gouvernementaux pour limiter les émissions carbonées. La pétition n’avait attiré que quatorze signatures, alors que la Chambre se dirigeait vers l’adoption d’un projet de loi de «plafonnement et d’échange», qui aurait fait payer aux entreprises leurs émissions de carbone. Le coût aurait pu être catastrophique pour Koch Industries, qui rejette vingt-quatre millions de tonnes de dioxyde de carbone dans l’atmosphère chaque année et possède des millions d’hectares de réserves de pétrole inexploitées au Canada, ainsi que des centrales électriques au charbon et les raffineries.
Pence, qui avait qualifié le réchauffement climatique de «mythe» et de «dernière tentative des écologistes pour augmenter les impôts», a repris la cause des Koch. Il a non seulement signé l’engagement, mais a exhorté les autres à le faire également. Il a dénoncé le projet de loi de plafonnement et d’échange – qui a été adopté par la Chambre mais bloqué au Sénat – comme une «déclaration de guerre au Midwest» et comme «l’impôt le plus élevé de l’histoire américaine». (Déclaration inexacte reprise par les Koch et Americans for Prosperity.) Pence a utilisé une carte créée par la Heritage Foundation (soutenue par les Koch) pour faire valoir son point de vue et a exhorté les républicains de la Chambre à lutter énergiquement contre la législation dans leurs districts, tout en leur fournissant un kit d’éléments de langage.
Selon le Investigative Reporting Workshop de l’American University, après l’intervention de Pence, le nombre des signataires de l’engagement zéro-taxe-climatique a grimpé en flèche, atteignant cent cinquante-six membres de la Chambre. James Valvo, directeur de la politique à Americans for Prosperity et responsable de l’engagement, leur aurait déclaré que le soutien de Pence et d’autres républicains avait permis à «une proposition radicale» de devenir «la position établie». Le projet de loi sur de plafonnement et d’échange fut enterré au Sénat.
Short ne se souvient pas «que les Koch aient jamais demandé de l’aide sur la question» : «la Conférence Républicaine a estimé que c’était le bon choix à faire en raison de l’impact que le projet de loi aurait eu sur les emplois». En tout cas, l’engagement a marqué un tournant décisif dans le débat sur le changement climatique, cimentant l’opposition républicaine à agir contre le changement climatique.
D’après Peterson, le Checks & Balances Project n’avait pas détecté «de flux d’argent allant des Koch vers Pence» avant l’affaire de l’engagement. Mais depuis «il l’ont littéralement arrosé». Et «Pence a pu entrevoir un chemin vers la Présidence, avec eux derrière lui. »
En effet, en 2011, Pence était devenu le candidat potentiel préféré de Charles Koch à la présidence pour 2012. Selon Andrew Downs, directeur du centre non partisan Mike Downs Center for Indiana Politics, à Fort Wayne, «les gens pensaient que Pence se préparait pour la Course présidentielle». En tant que membre du Congrès, «il avait probablement une chance de devenir président de la Chambre, mais au lieu de cela, il s’est investi dans de nombreux engagements à vocation nationale et a visité des États comme l’Iowa et le New Hampshire. Se présenter aux élections présidentielles n’est pas une idée qui lui est venue lors du ticket de 2016. Cela remonte bien plus loin. »
Cela étant, il est difficile de se faire élire Président depuis la Chambre des Représentants. En 2012, après avoir évalué ses perspectives nationales, Pence s’est présenté comme gouverneur de l’Indiana. Selon Downs, «l’idée admise est que cela lui permettait de cocher une case, d’acquérir de l’expérience dans un poste de direction, pour pouvoir ensuite mieux se porter candidat à la présidence». Pence a remporté la l’élection, mais avec seulement 49% des voix. «Il faisait peur au centre», selon Bill Oesterle, républicain et cofondateur d’Angie’s List, une société de l’Indiana qui rassemble les avis des utilisateurs sur les entrepreneurs locaux. Oesterle a contribué cent cinquante mille dollars à la campagne de Pence. David Koch a contribué deux cent mille dollars.
L’engagement de Pence auprès des Koch était désormais à toute épreuve. Ils ont embauché Short, son ancien chef de cabinet, avec un salaire annuel de plus d’un million de dollars, en tant que président de la Freedom Partners Chamber of Commerce, leur organisation basée en Virginie qui rassemblait les gros donateurs conservateurs. La Chamber of Commerce a servi de pourvoyeur d’argent obscur, permettant aux donateurs de rester anonymes tout en distribuant des fonds aux campagnes et aux organisations politiques favorisées. (Au cours de la dernière décennie, l’organisation a rassemblé environ un milliard et demi de dollars.) Le réseau politique national des Koch, qui avait des bureaux dans presque tous les États, est devenu la machine politique privée la plus puissante et la mieux financée du pays. Au moins quatre autres anciens membres du personnel de Pence ont suivi l’exemple de Short et ont rejoint le réseau Koch, y compris Emily Seidel, qui a rejoint Freedom Partners, et Matt Lloyd, qui est devenu porte-parole de Koch Industries. En 2014, un stratège républicain a déclaré à Politico que «Koch» était devenu «le quartier général fantôme de Pence pour la Présidence».
Le mandat de Pence en tant que gouverneur a failli détruire sa carrière politique. Il avait promis à Oesterle et à d’autres membres du monde des affaires républicain de l’État qu’il continuerait sur la voie de son très apprécié prédécesseur, Mitch Daniels, conservateur sur le plan fiscal qui avait appelé à une «trêve» sur les questions sociales conflictuelles. Selon Oesterle, «Pence était très arrangeant». Mais après son élection, il a commencé à prendre des positions d’extrême droite controversées qui, selon les critiques, étaient davantage au service de la construction de son profil national que des électeurs de l’Indiana.
Au début, Pence a mis l’accent sur le conservatisme fiscal. En 2013, il proposa de réduire l’impôt d’État sur le revenu. Un rapport interne d’Americans for Prosperity décrit la proposition comme un exemple du programme des «États modèles» des Koch «en action». Les Républicains de l’Indiana, qui détenaient la majorité dans les deux assemblées législatives, ont d’abord reculé devant la baisse d’impôt, la jugeant irresponsable. Mais Americans for Prosperity ont agi comme un levier pour Pence, tout comme il promettent de le faire aujourd’hui pour les réductions d’impôts fédérales proposées par Trump. Le groupe a organisé une campagne coûteuse qui comprenait cinquante rassemblements, deux campagnes publicitaires télévisées à six chiffres, des démarchages téléphoniques et à domicile dans cinquante-trois des quatre-vingt-douze comtés de l’Indiana. Finalement, le législateur accepta ce que Pence décrit souvent comme «la plus importante réduction d’impôt sur le revenu de l’histoire de l’État, » même si l’Indiana avait déjà l’un des impôts sur le revenu les plus bas du pays. Trump a récemment décrit le dossier de Pence comme un modèle pour le programme fiscal de la Maison Blanche, et d’affirmer: «l’Indiana est un formidable exemple de la prospérité qui se déchaîne lorsque nous réduisons les impôts.» Mais, de l’avis d’Andrew Downs, politologue de l’Indiana, «les réductions d’impôts étaient assez dénuées de sens». Par exemple, un résident qui gagnant cinquante mille dollars par an a réduit ses impôts d’environ 3,50 $ par mois. Pence prétend que la réduction a stimulé l’économie, mais selon John Zody, président du Parti démocrate de l’État, «notre revenu par habitant est le trente-huitième du pays.» L’État a récemment dû augmenter la taxe sur l’essence de dix cents le gallon, pour réparer ses infrastructures en ruine.
Dans quelques cas surprenants, Pence s’est écarté de l’orthodoxie conservatrice. En 2014, il a rompu avec de nombreux autres gouverneurs républicains et a accepté d’étendre Medicaid en Indiana. Il a déclaré que sa proposition mettait «les résidents de l’Indiana au centre de la réforme des soins de santé». Il n’était pas un fan d’Obamacare, le comparant au 11 septembre. Néanmoins, il négocia des dérogations avec l’administration Obama de sorte à rendre l’expansion acceptable à ses yeux. Par exemple, tous les résidents de l’Indiana furent tenus de faire preuve de «responsabilité personnelle» en payant une partie du coût de leurs services médicaux. Americans for Prosperity, qui s’oppose à toute forme sécurité sociale, reprocha gentiment à Pence de «se soumettre aux demandes de Washington». Mais le plan d’expansion de Medicaid est resté populaire dans l’État.
Après cette apostasie, Pence se reprit. Il annula à la dernière minute une demande de subvention fédérale de quatre-vingt millions de dollars pour lancer un programme préscolaire à l’échelle de l’État. Les responsables de l’éducation de sa propre administration étaient favorables à cette subvention, mais des opposants conservateurs à l’enseignement public laïc s’étaient plaints. Pence expliqua que le gouvernement fédéral avait posé «trop de conditions», mais sans pouvoir en citer une seule. Finalement, après de nombreuses critiques, il présenta une nouvelle demande de subvention. Pour Matthew Tully, éditorialiste à l’Indianapolis Star, Pence avait un «défaut rédhibitoire» : «trop politique et idéologique» pour être un bon gouverneur. «Son objectif était de passer à l’étape suivante, pas le travail à accomplir».
Les analystes politiques ont remarqué que Pence passait beaucoup de temps en déplacement dans des États où avaient lieu d’importantes primaires présidentielles et à intervenir auprès de gros donateurs hors des frontières de l’État. À l’été 2014, il a pris la parole lors d’un rassemblement de Americans for Prosperity à Dallas. Lors de l’événement, il s’est tenu aux côtés de Short et s’est déclaré «reconnaissant d’avoir bénéficié» du soutien de David Koch. À l’automne, il a contacté Nick Ayers, jeune consultant politique arriviste, pour savoir s’il l’aiderait dans une course à la Présidence de 2016. Rien n’en est sorti, mais Pence avait clairement des ambitions à la Maison Blanche.
Au printemps 2015, Pence a signé le projet de loi Religious Freedom Restoration Act, qu’il a présenté comme inoffensif. Comme le note Oesterle : «qui affirmerait être contre la liberté religieuse ?» Mais une photo de la séance de signature à huis clos a fait surface. On y voyait Pence entouré de moines, de nonnes, et de trois des plus virulents militants anti-gays de l’État. L’image est devenue virale. Les résidents de l’Indiana ont commencé à examiner la loi de plus près et ont découvert que pour l’essentiel elle visait à légaliser au niveau de l’État les pratiques discriminatoires des entreprises à l’encontre des homosexuels.
Selon Oesterle, «le défi n ° 1 auquel nous sommes confrontés dans l’Indiana est la capacité d’attirer et de retenir des personnes talentueuses. Si l’État est considéré comme fanatique envers certains membres de la communauté, cela rend le travail incroyablement plus difficile. » Toujours selon Oesterle, le Religious Freedom Restoration Act, a déclaré Oesterle, «n’émanait pas de Pence lui-même», c’était plutôt une «éructation» de la frange d’extrême droite de la législature de l’Indiana. Mais «il y avait un manque de leadership». À son avis, Pence aurait dû le bloquer, ainsi que d’autres projets de loi extrêmes. «On voit la même chose se produire à Washington maintenant. Pence n’est pas un dirigeant ou même un administrateur si efficace que ça. Les extrémistes ont saisi l’initiative. »
Le tollé suscité par le Religious Freedom Restoration Act fut énorme. Des groupes de défense des droits des homosexuels ont condamné le projet de loi et exhorté au boycott de l’État. Pete Buttigieg, jeune maire gay de South Bend et figure montante du Parti démocrate, m’a dit qu’il avait essayé de parler à Pence du projet de loi, qui selon lui, causerait des dommages économiques majeurs à l’Indiana. «Mais il avait ce regard dans les yeux», se souvient Buttigieg. «Il habite juste une réalité différente. Il est très difficile pour lui de mettre de côté l’agenda social. C’est un fanatique. «
Dans un effort pour étouffer la critique, Pence a consenti, contre l’avis de son personnel, à être interviewé par George Stephanopoulos lors de son émission du dimanche matin sur ABC. Stephanopoulos lui a demandé à cinq reprises s’il était désormais légal pour les entreprises de l’Indiana de discriminer les homosexuels, et à chaque fois Pence fut évasif. Pence a également esquivé lorsque Stephanopoulos lui a demandé s’il soutenait personnellement la discrimination contre les homosexuels. «Ce qui l’a tué, c’est sa réticence à prendre une position claire», d’après Oesterle. «On y a vu le conflit entre son idéologie et son ambition. S’il avait simplement dit: « Écoutez, je pense que les gens devraient avoir le droit de licencier des homosexuels », il aurait été qualifié d’idéologue rigide, mais il n’aurait pas été moqué. »
Smulyan, le directeur de la radiodiffusion, a commencé à recevoir des appels de relations dans tout le pays, lui demandant ce qui n’allait pas avec l’Indiana. Le hashtag #BoycottIndiana est ressorti en tête sur Twitter pendant des jours. Des dirigeants alarmés de la plupart des entreprises importantes de l’État, notamment Cummins, Eli Lilly, Salesforce et Anthem, se sont joints aux dirigeants municipaux pour exprimer leur désapprobation. Les entreprises ont commencé à annuler les conventions et à menacer de renverser leurs plans d’expansion dans l’État. Le milieu des affaires de l’Indiana anticipait des millions de dollars de pertes. Lorsque la National Collegiate Athletic Association, basée à Indianapolis, a déclaré son opposition à la loi, la pression est devenue intolérable. Même l’establishment républicain s’est retourné contre Pence. Un titre dans l’ Indiana Star, publié le mardi après l’interview de Stephanopoulos exigeait : «RÈGLE ÇA, MAINTENANT ! »
En quelques jours, le législateur adopta une version moins discriminatoire du projet de loi, que Pence signa, avant de quitter précipitamment la ville pour le week-end. Il n’avait clairement pas anticipé l’indignation qu’il avait déclenchée, et ensuite il avait essayé de sauver sa carrière au détriment de ses principes professés. D’après Steve Deace, animateur de radio conservateur influent, le retournement de Pence fut «probablement la pire trahison conservatrice que j’ai vue dans ma carrière». «Après cela il n’avait plus aucune chance au niveau national, à part monter sur le ticket Trump. » De même, selon Michael Maurer, propriétaire de l’Indianapolis Business Journal, républicain mais pas conservateur de la ligne dure : «Ça lui a explosé à la figure. Ses sondages étaient catastrophiques. Je parie qu’il ne sera plus jamais élu en Indiana. Mais il est passé du statut de gouverneur en futur ballotage défavorable à celui de vice-président des États-Unis. Nous sommes encore sous le choc ! »
Les loyalistes de Pence se sont précipités pour aider. Matt Lloyd, ancien membre de l’équipe Pence au Congrès, démissionna de son poste chez Koch Industries pour venir travailler avec lui dans l’Indiana. Ayers, le consultant politique que Pence avait consulté en 2011, est devenu son conseiller externe. L’État a également signé un contrat de sept cent cinquante mille dollars avec une entreprise de relations publiques, Porter Novelli, qui proposait de diffuser des publicités mettant en vedette des couples gays et lesbiens posant devant les sites emblêmatiques de l’Indiana. Mais impossible réparer al faute de Pence. Des affiches «Virez Pence ! » ont commencé à apparaître à travers l’État.
Selon Buttigieg, «le mandat de Pence dans l’Indiana a été caractérisé par de nombreux faux pas» : «il a toujours été correct avec moi, mais dans l’ensemble, il donnait l’impression de faire régulièrement de grosses boulettes. Il n’est vraiment pas l’éminence grise que certains s’imaginent. »
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