Bigoterie et coronavirus

L’hostilité de la droite religieuse envers la science paralyse notre réaction au coronavirus (traduction d’une opinion de Katherine Stewart publiée dans le New York Times le 27 mars 2020).

Le président Trump participe à une prière avant de prendre la parole lors du rassemblement des Evangelicals for Trump à l’église de King Jesus International Ministry, à Miami, janvier 2020. Crédit : Tom Brenner/Reuters

Donald Trump a accédé au pouvoir avec le soutien déterminé d’un mouvement qui nie la science, dénonce le gouvernement et privilégie la loyauté à l’expertise professionnelle. Dans la crise actuelle, nous récoltons tous ce que ce mouvement a semé.

Au moins depuis le 19e siècle, lorsque le théologien de l’esclavage Robert Lewis Dabney a attaqué les sciences expérimentales comme des «théories de l’incrédulité», l’hostilité à la science a caractérisé les formes les plus extrêmes du nationalisme religieux aux États-Unis. Aujourd’hui, le noyau dur des climatosceptiques rassemble les personnes qui s’identifient comme républicains religieux conservateurs 1. Et certains dirigeants du mouvement nationaliste chrétien, comme ceux alliés à la Cornwall Alliance for the Stewardship of Creation, qui a dénoncé les sciences de l’environnement comme
un «culte du dragon vert», présentent l’écologie comme une théologie alternative – et fausse.

Ce déni de la science et de la pensée critique chez les ultra conservateurs religieux marque aujourd’hui la réponse américaine à la crise des coronavirus. Le 15 mars, Guillermo Maldonado, qui se qualifie lui-même d ‘«apôtre» et a accueilli Monsieur Trump plus tôt cette année lors d’un événement de campagne dans sa méga-église de Miami, a exhorté ses fidèles à se rassembler pour une messe. «Croyez-vous que Dieu accueillerait son peuple chez lui pour lui transmettre le virus? Bien sûr que non», a-t-il dit.

Rodney Howard-Browne de l’église The River at Tampa Bay en Floride a traité de «chochottes» les gens inquiets de l’épidémie et a promis qu’il n’interdirait l’accès à son église bondée «que le jour du jugement dernier». Dans un sermon diffusé en direct sur Facebook, Tony Spell, pasteur en Louisiane, a déclaré: «Nous distribuerons des mouchoirs oints aux personnes qui peuvent avoir peur, ou qui peuvent avoir une maladie ; nous croyons que ces mouchoirs oints ont des vertus de guérison.»

Selon tous les témoignages, la tendance du président Trump à faire confiance à son instinct plutôt qu’aux experts sur des questions telles que les vaccins et le changement climatique ne provient d’aucune conviction religieuse profondément enracinée. Mais il est parfaitement en phase avec les nationalistes religieux qui forment le noyau de sa base. Lors de ses briefings quotidiens à la Maison Blanche, Monsieur Trump dédaigne et contredit les messages de ses propres experts et vante des remèdes non encore prouvés.

Tous les pasteurs ne se comportent pas imprudemment, bien sûr, et tous les fidèles en ces temps incertains ne se réunissent pas pour la messe au mépris des recommandations des scientifiques. Loin de là. Et le libre exercice par chacun de sa religion en cette période de crise, n’a rien à voir avec le voeu formulé par Monsieur Trump que tout le pays soit «ouvert et prêt à partir d’ici Pâques». Il aurait bien sûr pu dire «d’ici la mi-avril». Mais Monsieur Trump n’a pas invoqué Pâques par accident, et beaucoup de ses alliés évangéliques étaient satisfaits de sa vision d’«églises bondées dans tout notre pays».

Le nationalisme religieux a apporté à la politique américaine la conviction que nos différences politiques sont une bataille entre le mal absolu et le bien absolu. Lorsque vous êtes engagé dans une lutte entre le « parti de la vie » et le « parti de la mort », comme certains nationalistes religieux encadrent maintenant nos divisions politiques, vous n’avez pas à vous soucier d’élaborer une politique prudente basée sur l’opinion et l’analyse d’experts . Seul un chef héroïque, libre des scrupules du politiquement correct, peut sauver les justes des damnés. Seule la fidélité à la cause compte; les faits sont quantité négligeable. C’est peut-être la raison pour laquelle de nombreux dirigeants nationalistes chrétiens ont accueilli la nouvelle du coronavirus comme une insulte à leur chef choisi.

Dans une interview le 13 mars sur «Fox & Friends», Jerry Falwell Jr., le président de Liberty University, a qualifié la réponse au Coronavirus de « battage médiatique » et de «réaction excessive». « Vous savez, la destitution n’a pas fonctionné, et le rapport Mueller n’a pas fonctionné, et l’article 25 n’a pas fonctionné, et peut-être que maintenant c’est leur prochaine, euh, leur prochaine tentative pour faire tomber Trump », a-t-il déclaré.

Lorsque le révérend Spell en Louisiane a bravé l’interdiction du gouverneur John Bel Edwards et a organisé des messes pour plus de 1 000 fidèles physiquement réunis, il a affirmé que l’interdiction était «motivée par des raisons politiques». Des personnalités comme le militant anti-LGBT Steve Hotze ont ajouté au refrain, dénonçant les préoccupations vis-à-vis du coronavirus comme –
vous l’aurez deviné – des «fake news».

C’est la compétence au sein des équipes gouvernementales qui est l’une des premières victimes de l’hyper partisanerie et du mépris des faits. L’incompétence de l’administration Trump à faire face à cette crise est désormais bien connue, du moins parmi ceux qui ont accès à une information non biaisée. Février 2020 restera dans l’histoire comme le mois au cours duquel les États-Unis, contrairement à des pays comme la Corée du Sud et l’Allemagne, n’ont pas réussi à développer une capacité de test de masse qui aurait pu sauver de nombreuses vies. Moins connue est la contribution du mouvement nationaliste chrétien à faire en sorte que notre gouvernement reste entre les mains de personnes incapables de le diriger correctement.

Prenons le cas d’Alex Azar, qui en tant que secrétaire du ministère de la Santé et des Services Sociaux a joué un rôle de premier plan dans la mauvaise gestion de la crise. Il est probable à ce stade que la réussite principale de Monsieur Azar aura été de renommer son département «Département de la vie». Ou peut-être se souviendra-t-on de lui pour avoir créé un service de la conscience et de la liberté de religion, conçu pour permettre aux prestataires de soins de refuser, par objection de conscience religieuse, de donner à certains patients des services de santé légaux et souvent prescrits par des médecins.

Monsieur Azar, qui «parraine» Capitol Ministries, le groupe d’étude de la Bible auquel participent plusieurs membres du cabinet de Monsieur Trump, a amené avec lui aux services de santé et aux services sociaux une foi inébranlable en la droiture de l’industrie pharmaceutique (vraisemblablement acquise au cours de son mandat de cinq ans en tant que lobbyiste dans ce secteur), une disposition à parler du « courage » et de «l’ouverture au changement» de Monsieur Trump de la manière la plus servile , et un soutien sans faille aux politiques anti-avortement, à l’éducation à l’abstinence et autres causes de la droite religieuse. Ce qu’il n’a pas apporté, visiblement, est une véritable capacité à gérer une pandémie. Qui aurait pu deviner qu’un homme capable de faire l’éloge de Monsieur Trump ne serait pas le meilleur choix pour organiser le développement d’un programme de dépistage de virus, la livraison d’équipements de protection dont les travailleurs de la santé ont un besoin urgent ou un plan pour augmenter les capacités de l’hôpital?

Ou pensez à Ben Carson, le secrétaire du Logement et du Développement Urbain, membre du Groupe de travail sur le coronavirus de la Maison Blanche et autre «parrain» de Capitol Ministries. En tant qu’ancien neurochirurgien pédiatrique, Monsieur Carson a apporté à son poste plus de connaissances médicales que de connaissances sur les problèmes de logement. Mais ses connaissances médicales ne l’ont pas empêché d’affirmer le 8 mars que «pour un individu en bonne santé» qui envisage de participer à l’un des méga-rassemblements de campagne de Monsieur Trump, «il n’y a aucune raison de ne pas y aller.»

Pour être tout à fait honnêtes, reconnaissons que les défaillances de l’administration Trump dans la pandémie actuelle sont au moins autant imputables à son idéologie économique qu’à ses inclinations religieuses. Lorsque le soi-disant secteur privé est censé avoir la réponse à tous les problèmes, il est difficile de traiter efficacement le problème très public d’une pandémie et ses conséquences
économiques. Mais si vous examinez les racines politiques de la croyance mortelle dans la privatisation de tout, vous verrez que le nationalisme chrétien a joué un rôle majeur dans la création et la promotion des fondements économiques de la réponse incompétente de l’Amérique à la pandémie.

Pendant des décennies, les dirigeants nationalistes chrétiens se sont alignés sur le programme anti-gouvernemental et anti-fiscal non seulement pour des raisons politiques mais aussi théologiques. Ken Blackwell du Family Research Council, l’un des principaux groupes d’activistes de la droite chrétienne, est allé jusqu’à présenter les coupons alimentaires et autres formes d’aide gouvernementale pour les services essentiels, comme contraires au «modèle biblique». Selon cette ligne de pensée, un gouvernement limité est un «gouvernement pieux».

Lorsqu’une réponse centralisée forte est nécessaire de la part du gouvernement fédéral, c’est un handicap d’avoir une administration qui n’a jamais cru en un gouvernement fédéral au service du bien public. D’ordinaire, les conséquences de ce type d’état d’esprit ne sont pas immédiatement visibles. Dans le cas d’une pandémie, elles sont trop évidentes pour être ignorées.

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  1. Voir également la déclaration du vice président Mike Pence : «Je suis chrétien, conservateur et républicain – dans cet ordre ! Et j’ai ma carte de membre de la National Rifle Association».

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